Sécurité locale: polices territoriales, polices municipales, gardes champêtres, ASVP et autres sujets
  "Placé en garde à vue par mon maire"
 

« Placé en garde à vue par mon maire »

par Cédric Renaud – www.cedricrenaud.fr.gd - janvier 2010

 

Note de l’auteur : ce texte est une fiction. Toute ressemblance avec des situations ou des personnages ayant existé ne serait que pure coïncidence. Cependant, s’il s’agit d’une fiction aujourd’hui, elle ne le restera peut-être pas en ce sens que tous les outils juridiques sont ceux du droit français et existent réellement. Pour résumer, cette fiction pourrait devenir réalité dès demain…

 

« 03h30. La nuit est claire mais le givre sur le pare-brise me gêne. « Vas-y, verse de l’eau sur le pare-brise, ça enlèvera la glace plus rapidement! » m’avait dit un ami. Tu parles, quel con! J’y voyais clair mais maintenant c’est le flou. Et cette ventilation qui met des heures à chauffer. Maintenant plus de 20 kilomètres que je roule et c’est toujours tiède. A ce rythme, le pare-brise sera encore embué dans 5 minutes quand j’arriverai chez mes parents. J’espère que je pourrai bientôt m’acheter une nouvelle voiture, mon AX commence à avoir quelques faiblesses. Mais ce n’est pas avec les revenus d’un étudiant en droit – c’est à dire rien à part les chèques de mes parents – que je vais aller bien loin. Comme dit mon professeur de droit civil : « Le droit ça peut rapporter, mais plus tard ». Mais les études de droit sont quand même globalement un bon moment. Faut bosser, mais le monde étudiant a bien des avantages. Et puis on se fait des amis que vous conservez souvent après les cours. Par exemple, en ce moment, c’est la saison des raclettes. C’est de saison… Ce soir, une de ces amies de fac nous avait invités chez ses parents pour qu’on se goinfre de fromage jusqu’à point d’heure. Un délice. Et le groupe avec lequel j'étais est composé de joyeux drilles! On s’est tous connus en première année et depuis, même si nos chemins se sont séparés, on essaie de ne pas se perdre de vue. On s’est vraiment éclaté. Souvenirs, blagues sur les profs, toute la panoplie y est passée. On a parlé de tout, sauf des examens. A une semaine des vacances de Noël, j’ai plus la tête aux paquets cadeaux qui seront au pied du sapin dans 10 jours qu’aux partiels de janvier. Tout le monde a consciemment occulté le sujet, et c’est bien mieux ainsi.

A 3h00, nous avons convenu qu’il était peut-être temps de rentrer. On ne parle pas boulot mais je dois encore rédiger le cas concret du TD de droit pénal pour lundi. Si j’en ai le courage. En général, ça se finit toujours de la même manière : je discute avec mes amis avant d’entrer dans la salle et je prie pour ne pas être interrogé. Pour le moment, ça marche.

 

J’arrive à l’entrée de mon village. Au rond-point, juste après le panneau, je vois que quelqu’un me fait des signes. Merde ! La gendarmerie ! Là, c’est galère. Raclette rime avec vin blanc sec, et je suis un poète dans l’âme, alors j’ai bien fait rimer ! Et je parle même pas de l’apéro et du digestif. Merde, merde et re-merde. De toutes façon, c’est mort. Le route est droite jusqu’au contrôle. Pas d’échappatoire possible. Bon, ben j’espère qu’il ne font pas souffler. En même temps, un dimanche matin à 3h30, ils doivent pas être à la recherche de champignons. Fait chier. J’approche doucement de l’agent qui me fait signe de me garer. Là, je m’aperçois que la ventilation est enfin à la bonne température. Super…

Lorsque je passe à la hauteur de l’agent, je constate que ce n’est pas un gendarme. Un coup d’œil sur le dispositif me permet de confirmer cette première constatation. Les tenues se ressemblent, surtout de nuit et avec les chasubles fluo. Mais sur ces dernières, c’est bien « Police municipale » qui est inscrit. Tiens, c’est la première fois que je les vois dehors la nuit. En fait, la police municipale de mon village est composée de 4 personnes. Je les vois souvent sur le marché et parfois sur la route, mais je n’ai pas souvenir de les avoir croisés la nuit. En même temps, je ne suis pas souvent dehors à cette heure là...

L’espoir renaît. Aucun gendarme sur le dispositif. Et a priori, je n’ai pas commis d’infraction. Je me rappelle bien de mes cours de droit pénal, surtout la partie sur les contrôles d’identité et les dépistages alcoolémies. En tant que futur avocat (enfin j’espère), je sais que c’est souvent la faille dans les procédures. C’est en tout cas ce que l’avocat chez qui j’étais en stage cet été m’a dit. En général, c’est là qu’il faut taper, surtout dans les dossiers sur les étrangers : les circonstances du contrôle initial. Du coup, j’ai potassé ce point pendant deux mois. Les policiers municipaux étant agents de police judiciaire adjoints (ou APJA dans la jargon), ils ne peuvent procéder à des dépistages d’alcoolémie systématiques, ni pratiquer de contrôles d’identité. Ces prérogatives sont réservées aux officiers de police judiciaire (élégamment appelés OPJ) et aux agents de police judiciaire (APJ). Dans les polices municipales, point d’OPJ ni d’APJ. Ils ne peuvent effectuer des dépistages qui s’il préexiste une infraction permettant de recherche l’état alcoolique et s’il est positif, ils doivent appeler l’OPJ territorialement compétent, en l’occurrence la gendarmerie dans mon village. Ouf ! Sauvé ! Je suis presque certain – restons prudent – de n’avoir commis aucune infraction.

En revanche, un spot lumineux attire mon attention. A 50 mètres devant moi, cinq ou six personnes sont rassemblées. Je pense qu’il y a une caméra. Bizarre. Mais bon, pourquoi pas. Il n’y a pas d’élection prochainement, mais une petite opération de communication ne fait jamais de mal.

 

Je baisse ma vitre. Je reconnais immédiatement l’un des policiers municipaux de ma commune. Il est armé d’un revolver sur sa hanche droite, et sur sa hanche gauche pend un bâton semblable à ceux des CRS. Manifestement, il est frigorifié et pas très content d’être là à une heure si matinale.. ou tardive, ça dépend du point de vue.

« Bonjour monsieur. Police municipale, c’est un contrôle d’identité. Pouvez-vous me présenter votre permis de conduire, la carte grise et l’attestation d’assurance de votre véhicule s’il vous plait

-      J’ai commis une infraction ?

-      Non, non. C’est un contrôle systématique. »

Etonnement. Là, c’est un contrôle d’identité, un vrai. Bon, je vais pas la ramener, ce ne serait pas dans mon intérêt. Ils veulent certainement se faire mousser mais vu mon état d’alcoolémie présumé, c’est pas le moment que j’étale ma science, l’article 78-2 du code de procédure pénale, etc. Passons pour le péquin moyen. Je lui remets mes pièces administratives. Il les regarde et fait le tour du véhicule.

« C’est parfait. Je vais vous soumettre un dépistage de l’imprégnation alcoolique. Vous avez bu ? »

Là, c’est trop fort. Je vais pas me laisser avoir par un policier municipal ignorant et mal formé qui outrepasse ses prérogatives. Et puis surtout, si je souffle, je suis baisé. Alors allons-y pour le grand déballage.

« Mais attendez, vous n’avez pas le droit. Ce que vous faites, c’est un contrôle systématique et c’est réservé aux OPJ. Je le sais, je suis avocat. » Bon, ok, je m’avance un peu mais détailler tout le cursus de formation en droit à 3h du matin et à 3 grammes est au-dessus de mes forces. Et puis je pense que le gars en face de moi, contrôler un étudiant en droit, il s’en fout. Alors qu’un avocat…

« Parce que l’article 78-2 du code de procédure pénale dispose que..

-      Oui oui, je sais ce que dit le code de procédure pénale, me rétorque en me coupant  le policier municipal, moi aussi j’ai fait du droit. Et je connais parfaitement mes prérogatives. Monsieur le Maire ! »

Sur cette interpellation, un homme qui se trouve dans le petit groupe avec la caméra se retourne. Il porte une écharpe tricolore et je le reconnais immédiatement : c’est le maire de ma commune. Qu’est-ce que c’est que ce traquenard ?!

« Monsieur a une question à vous poser. »

Le maire se retourne un instant vers la caméra puis tout le petit groupe se dirige vers moi. En quelques secondes, je me retrouve sous le feu du fameux projecteur que j’avais aperçu quelques secondes auparavant. Une jeune fille, apparemment aussi frigorifiée que le policier municipal, s’adresse à moi : « Vous acceptez que l’on vous filme ?

-      Oui... Enfin non... Enfin je sais pas, ça dépend. Je sais même pas pourquoi vous êtes là ?

-      Alors, que se passe-t-il ? interroge le maire à destination du policier.

-      Monsieur ici présent est avocat »

Le regard goguenard de l’élu en ma direction me fait comprendre que je suis démasqué, et pour cause : il m’a remis un trophée lors d’un tournoi de football il y a deux mois. J’étais le capitaine de l’équipe… des étudiants en droit. Bon, ne nous démontons pas. Le policier municipal continue.

-      Et il connaît apparemment très bien l’article 78-2 sur les contrôles d’identité.

-      Eh bien cher maître – le regard de l’élu redevient sérieux et après un coup d’œil au cadreur qui se trouve derrière lui, il enchaîne – vous connaissez peut-être également les disposition de l’article 16 du code de procédure pénale ? Mais si, c’est celui qui défini qui est OPJ dans notre beau pays. Et dans son 1°, vous ne devinerez jamais qui est visé par cet article ?

Honnêtement, non, je ne vois pas. L’article 16, c’est un article bateau sur la qualification d’OPJ. Je vois les policiers et les gendarmes. Je sais que les douaniers ont une qualification qui ressemble mais je ne vois pas ce que mon maire vient faire là de dedans.

-      Le maire et ses adjoint. Eh oui, je suis OPJ.

-      Mais attendez, Ok, vous êtes OPJ, mais pas un « vrai » OPJ ?

-      Si. En tout cas, rien dans la loi ou la jurisprudence ne vient limiter mes prérogatives. Alors, par défaut, je vous répondrai que si, je suis un OPJ, un vrai. En conséquence, j’ai demandé à mes policiers municipaux, qui agissent sous mon contrôle, d’effectuer un contrôle alcoolémie systématique à l’entrée du village entre 3 et 4 heures ce matin.

-      Mais pourquoi ? »

L’élu esquisse un sourire et s’éloigne de quelques mètres. Il parle à la journaliste.

Le policier municipal reprend la parole : « Alors, on souffle ? »

Je suis coincé. Ou en tout cas, si je le suis pas, je ne vois pas la faille. Donc je souffle. De toute façon, si je refusais, ce serait un refus de se soumettre à un contrôle. Et là, c’est pire.

Biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip.

J’arrête de souffler lorsque la sonnerie s’arrête.

« Monsieur, c’est positif. Vous avez bu ce soir ? »

A ton avis..

« Oui, un peu. Un ou deux verres

- Bon, il va falloir vérifier ça. Vous nous suivez au poste s’il vous plait ?

-      Je peux appeler mes parents ?

-      Attendez, ne les inquiétez pas pour rien. Si vous en avez besoin, on le fera du poste, d’accord ? Fermez votre voiture, prenez vos affaires et venez avec nous dans le véhicule. On vous emmène. »

 

Et me voilà parti dans le véhicule de la police municipale en direction du poste. Nous y arrivons en quelques minutes. Ironiquement, il s’agit de l’ancienne gendarmerie qui a fermé il y a deux ou trois ans. La mairie a récupéré les bâtiments qu’elle louait à l’Institution et y a installé la police municipale mais aussi une partie des services techniques, soit en fait, l’ensemble du personnel municipal dont dispose mon village à l’exception des secrétaires.

J’entre dans un bureau. Devant le bâtiment, le maire et la presse sont en train de se garer. Les journalistes sont priés de rester à l’accueil et le policier municipal reprend.

« Bon alors voilà, votre dépistage est positif mais il faut chiffrer le taux. Cet appareil est un éthylomètre – il me désigne une grosse mallette. Il va chiffrer votre taux d’alcool dans l’air que vous expirez. Quand avez-vous bu votre dernier verre ?

-      Je sais pas, il y a 45 minutes je pense.

-      Vous fumez ?

-      Non

-      Parfait, alors on peut y aller. Quand je vais vous dire de souffler, vous allez souffler pas trop fort jusqu’à ce que la sonnerie s’arrête. Attention, c’est long. Prenez une bonne inspiration »

La mallette se met à ronronner. Le policier me tend un tuyau avec un embout blanc qu’il vient de sortir d’un film plastique. La mallette émet un petit « Bip » et le message « Soufflez » s’inscrit dessus.

« Allez, c’est parti. Vous prenez une bonne inspiration et vous soufflez ».

Et c’est reparti : Biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip. La sonnerie s’arrête. Le policier me pose la main sur l’épaule pour me dire d’arrêter. Là, un message « deuxième souffle » s’inscrit sur la mallette. Le policier me regarde : « Si y’a un deuxième souffle, c’est que vous êtes positif. Allez, on y retourne. »

« Soufflez » m’ordonne la machine. Je commence, mais une quinte de toux m’interrompt dans mon souffle.

-      Excusez-moi, c’était pas voulu.

-      C’est pas grave, mais du coup faut tout recommencer, y compris le premier souffle ».

Ah, pas très modernes ces machines. Bref : un souffle, « deuxième souffle », deux souffle et c’est bon. Là, la machine se met de nouveau à ronronner puis affiche un chiffre.

« 0,86. C’est pas terrible pour vous ça.

-      Ah bon ? Mais le taux est pas à 0,8 ?

-      Non, c’est 0,5 la limite légale. Et c’est le taux dans le sang. Là, le taux que vous lisez c’est le taux par litre d’air expiré. Pour avoir le taux dans le sang, en gros, faut multiplier par deux. Vous être donc à peu près à 1, 92 grammes d’alcool par litre de sang. Je veux pas être désagréable, mais c’est énorme.

-      Je vais avoir une amende alors ?

-      On va voir. Monsieur le Maire ? »

Le policier quitte la salle et revient avec l’élu.

« 1,92 grammes. Vous vous rendez compte du danger que vous êtes pour les autres ?

-      Oui, je sais, mais c’était juste une petite fête à 30 kilomètres. Et j’ai croisé personne sur le chemin. Alors si je me plante, les seuls dégâts seront pour moi.

-      Et si vous vous tuez, c’est moi qui irais annoncer votre décès à vos parents. Merci du cadeau ! Vous êtes inconscient !

-      Oh, c’est bon. Vous me mettez une amende, je souris pour la télé et puis pour la leçon de morale, j’ai déjà mes parents, merci ! »

La conversation s’est brutalement tendue.

« Ok, j’arrête les leçons de morale et j’en reviens à mes obligations légales. Il est 03h50 et je vous place en garde à vue.

-      Quoi ? Mais ça va pas ?! De toute façon vous n’avez pas le droit.

-      Voilà, c’est ça, continuez. Donc, je vous place en garde à vue pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique avec un taux de 0,86 mg par litre d’air expiré. Cette mesure de garde à vue prend effet à 03h35, heure de votre interpellation. Elle peut durer 24 heures, période renouvelable une fois sur autorisation du Procureur de la République. Pendant cette mesure, vous avez trois droits que vous connaissez je suppose ? Est-ce que vous voulez voir un avocat ?

-      Evidemment, c’est de la démence ce truc. Ça ne va pas en rester là.

-      Ok pour l’avocat. Est-ce que vous voulez voir un médecin ?

-      Non, c’est bon.

-      Très bien. Moi je demande à ce que vous en voyez un. Et est-ce que vous voulez faire prévenir quelqu’un de cette garde à vue ?

-      Oui, mes parents. Dites leur que je serai à la gendarmerie.

-      Je m’en occupe. Mais que les choses soient bien claires : ce n’est pas la gendarmerie qui vous place en garde à vue, c’est moi. Et vous allez faire votre garde à vue ici, dans les locaux de la police municipale. Enfin, vu votre état d’alcoolémie, je ne vous entendrai que demain, après que vous ayez dégrisé et que je vous ai à nouveau notifié vos droits. Alors à demain, cher monsieur. »

 

Alors que la maire retourne dans le hall du local, un policier municipal me récupère. Il me fait vider mes poches, quitter mes chaussures, enlever ma ceinture, et me fouille sommairement. Mes effets personnels sont placés dans une enveloppe kraft qui est refermée. On me demande de signer sur le rabat et le policier signe à coté. Puis on emmène dans une cellule à l’épaisse porte en bois. Les serrures pourraient appartenir à un musée. Il y en a deux : une en haut de la porte, et une en bas. Sur chacune d’elle, une énorme clé attend d’être tournée. J’entre donc dans ce local qui a anciennement servi à la gendarmerie. Il y fait frais, presque froid.

« Je vous donne une couverture. Vous en avez une seconde sur la couchette au cas où. Et puis nous allons rester toute la nuit donc si vous avez besoin de quelque chose, frappez à la porte et on arrivera. »

Sur ces conseils, il referme l’énorme porte qui scelle provisoirement mes 5 mètres carrés d’espace vital. Les deux serrures font entendre leur bruit caractéristique qui résonne dans la cellule. Ce bruit est particulièrement traumatisant pour quelqu’un qui, comme moi, ne s’est jamais trouvé de ce coté-ci de la porte. Chaque claquement de serrure est comme un coup de pied dans l’estomac.

Me voilà donc seul. Si la cellule est froide, elle est néanmoins propre. Une couchette avec un matelas en plastique me rappelle les tapis de gym de mon enfance sur lesquels je sautais lors des cours de sport. Les circonstances étaient alors bien différentes. Les couverture sentent le renfermé mais semblent, elle aussi, propres. Fort de ces constatations, je me décide à m’allonger. Durant quelques instants, je m’étonne à réfléchir à toutes les personnes qui ont dû fréquenter cette même pièce. Certes, nous sommes en milieu rural mais je suis bien placé pour savoir que la bêtise et la perversité ont depuis longtemps investi les campagnes. Finalement, ces pensées philosophiques associées aux émotions et surtout à mon taux d’alcoolémie finissent par avoir raison de ma conscience et je sombre dans un sommeil agité.

 

Durant ma courte nuit, j’ai l’impression de percevoir des cris provenant des bureaux jouxtant ma cellule, mais impossible de distinguer la moindre parole. Seul le ton courroucé de la voix du maire me parvient et j’en suis à redouter le moment où je vais me retrouver face à lui une fois le jour venu.

Je suis réveillé une première fois à l’aube. Les bureaux sont redevenus calmes et seuls les deux policiers municipaux semblent être présents. Celui qui m’avait contrôlé quelques heures plus tôt m’annonce l’arrivée du médecin. Il me place dans un bureau seul avec le praticien. Ce dernier me demande si j’ai un traitement ou un problème quelconque de santé. Je lui répond par la négative. Il m’ausculte ensuite rapidement. Tension, pouls, pupilles, tout à l’air normal. Il m’interroge ensuite sur ma consommation d’alcool de la soirée. Je reconnais avoir consommé gin, vodka, vin blanc et enfin chartreuse, un alcool du Vercors, en quantités importantes. Son regard accusateur en dit long mais j’y retrouve plus les reproches qui seront certainement ceux de mon père dans quelques heures plutôt qu’un jugement professionnel.

« Vous savez, nous sommes quatre médecins à nous relayer pour le secteur de garde. Du coup, j’interviens aussi parfois avec les pompiers. Estimez-vous heureux d’avoir fini à la gendarmerie avec un taux pareil. C’est un moindre mal. Deux jeunes de votre âge ont eu moins de chance dans le département d’à coté. Si je suis arrivé en retard ici, c’est parce que j’ai mis les deux parents de l’un d’entre eux sous calmants. Les gendarmes et le maire de la commune venaient de leur annoncer le décès de leur fille de 17 ans. Je ne suis pas votre père. Vous pouvez prendre ce que je viens de vous dire comme vous le voulez. La vie, c’est pas forcément le spot télé de la Prévention Routière. C’est cent fois pire. Et pour en revenir à vous : pensez à boire, de l’eau évidemment. Je pense que vous allez avoir soif durant le nuit. »

Il appelle alors le policier qui me ramène en cellule. C’est vrai que j’ai toujours regardé les spot de la Prévention Routière d’un œil distrait, me moquant de « ceux qui font jamais attention », « des chauffards », « des ivrognes », bref des autres. Et là, c’est moi qui suis dans le spot. Dur retour à la réalité.

 

Le second réveil est le bon. Il fait jour, mais je n’ai pas de notion de l’heure. Je m’en inquiète auprès du policier municipal qui, à voir sa tête, a passé la même excellente nuit que moi.

« 9h30 » me dit-il sans aucune expression dans la voix. Il me replace face à la fameuse mallette. La valse des « bip » longs et des « bip » courts reprend alors. « 0,28. Mouais, c’est pas top mais ça ira. Comment vous sentez-vous ?

-      pas terrible. J’ai la bouche pâteuse.

Il esquisse un sourire. « Je veux bien vous croire. A votre haleine, je pourrai presque vous donner votre taux d’alcool ! Allez, prenez cette bouteille d’eau. C’est un cadeau de la maison. Et je vais vous amener un café. Votre avocat est arrivé. Installez-vous dans le bureau avec mon collègue, j’arrive.

Je me retrouve dans le même bureau qu’avec le médecin. L’autre policier est là. Lui aussi a « bien » dormi. Son collègue revient avec un café et un jeune homme en jean. Il a une mallette de cuir fauve comme le médecin de cette nuit, mais il n’est pas médecin.

« Bonjour, je suis l’avocat de permanence garde à vue. Désolé pour le retard mais j’étais au dépôt du commissariat. Ils ont eu pas mal de boulot cette nuit, du coup moi aussi. Mais votre cas m’intéresse. Placé en garde à vue par un maire, ça va faire jurisprudence ! »

J’apprécie moyennement l’allusion mais compte-tenu de ma position, ce n’est pas le moment de faire le malin. Je lui raconte tout, en détail. Je lui fais part de mes doutes sur la légalité de cette mesure, même si je ne conteste pas le fond – comment contester un taux de 1, 92 grammes ? Nous discutons. Il sort alors son gros livre rouge que je connais bien et feuillette les pages de papier bible. A la répartition des feuilles de chaque coté du bouquin, je devine qu’il est plutôt vers le début que vers la fin. Il fait ce que j’aurais fait : il consulte la jurisprudence sous l’article 16 du code de procédure pénale. Il m’interroge sur les conditions de ma garde à vue. Honnêtement, j’ai été bien traité. Passée la surprise, j’ai bien compris pourquoi j’étais là et je n’ai pas été brutalisé. Ce n’est pas une nuit à l’hôtel mais globalement, ça va.

« Non, c’est carré. Faut que je vois sur Internet s’il y a des jurisprudences récentes mais a priori, la qualification d’OPJ des élus est pleine et entière. Les seules limitations concernent les adjoints spéciaux – mais dans votre cas c’est le maire qui vous a placé en garde à vue, donc la question ne se pose pas – et le port d’arme, qui n’est pas automatique même avec la qualification d’OPJ. A part ça, ce sont des OPJ comme les gendarmes et les policiers. Pour vous parler franchement, je crois qu’aucun élu n’a eu les couilles d’utiliser cette prérogative. Mais c’est le droit français : on empile, on empile et on oublie certaines dispositions. Pourtant, l’article 16, c’est la base, mais même moi je n’aurai jamais imaginé ce qui vous arrive. Votre cas est unique. J’ai hâte d’être au jugement. Je vous laisse ma carte ? Vous pourrez m’appeler quand vous aurez la date de comparution. Je vous le dis : vous allez faire jurisprudence !

-       Vous m’en voyez ravi. Ça fera bien sur mon CV. Imaginez : « expérience professionnelle : stage dans un cabinet d’avocats pendant deux mois et a fait l’objet d’un jugement de principe parce qu’il a été assez con pour rouler bourré ». Génial, je vais trouver du travail, c’est sur !

-  Ecoutez, je ne dis pas que ce que vous avez fait est intelligent, loin de là. Mais que ça vous serve de leçon. Vous allez être à pied pendant quelques mois, vous allez payer une amende et perdre des points sur votre permis. Je suis avocat, pas magicien, vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous. Maintenant, vous n’avez tué personne. Estimez-vous heureux. D’autres font les mêmes erreurs et ont moins de chance. Vous avez vu le système de l’intérieur. Soit vous en tirez quelque chose pour vous, soit vous l’oubliez. A vous de voir. » Il se retourne vers la pendule accrochée au mur. « Nos trente minutes se terminent. Je vais vous laisser. Vous allez être entendu puis vous serez certainement relâché. Le substitut de permanence s’est déplacé cette nuit jusqu’ici. Vous pensez : recevoir un avis de placement en garde à vue d’une mairie, ça ne lui était jamais arrivé ! Je pense que le Procureur lui-même va revenir de week-end pour vous. Allez, courage, plus que quelques heures à passer. »

Nous nous serrons la main et il me laisse seul dans le bureau. Un policier municipal ne tarde pas à me rejoindre.

 

Le maire revient alors accompagné du policier municipal qui m’a contrôlé.

« Bonjour. Bien dormi ? Oui, je sais, le réveil est difficile. Vous n’allez pas vous plaindre au moins ? dit-il en esquissant un sourire.

J’en esquisse un à mon tour. Mon estomac est douloureux et ma tête me fait mal. Une bonne gueule de bois réglementaire s’annonce. Mais ce sera pour plus tard. Pour le moment, place à l’audition. Le maire commence.

« Officiellement, c’est moi qui vous entend car je suis l’OPJ. Vous connaissez déjà mon chef de service de police municipale je crois ? » Il regarde le policier avec un petit sourire en coin. « C’est lui qui tapera l'audition sur l'ordinateur. Je ne maîtrise plus trop ces choses là. Alors d’abord les obligations administratives. Maintenant que vous avez un peu dessaoulé, je vais vous notifier vos droits. » La même litanie recommence et je signe un formulaire sur lequel tout ce que le maire a dit est reporté. Nous savons tous les trois que cette seconde notification est purement formelle puisque j’ai d’ores et déjà exercé deux droits sur trois. « Et pour mes parents ?

- Je les ai appelé dès que tu as été couché. Je les ai rassuré. Je pense que tu vas prendre une bonne leçon en rentrant mais c’est normal, non ? Je me suis engagé à les appeler dès que tu sors pour qu’ils viennent te chercher. »

Gueule de bois, engeulade, la journée s’annonce chargée. Vivement ce soir qu’on se couche ! Le fait que le maire soit passé au tutoiement me rassure un peu. Il ressemble plus à la figure paternelle qu'au représentant de l'Ordre et de la Justice que j'en avais jusque là.

« Mais avant de commencer l’audition, il faut quand même que tu saches deux ou trois choses. Si tu es en garde à vue, c’est d’abord et surtout parce que tu roulais après avoir consommé une certaine dose d’alcool. Mais c’est aussi à cause de moi.

Avant d’être élu maire, j’étais professeur de droit. Eh oui, on dirait pas, hein ? Mais si, je te promets. J’ai contemplé depuis mon siège à la fois l’inflation et l’inertie législative pendant des années. Comprends-moi bien : faire plus de loi c’est bien, mais en général, on oublie les anciens textes et on en promulgue de nouveaux. C’est quasi frénétique, un peu comme plusieurs papiers peints que l’on collerait les uns par dessus les autres. Ça ne se voit pas, ça ne gêne personne, jusqu’au moment où on veut enlever le papier peint. Il y a des tas de mesures comme celle-ci, notamment la qualification d’OPJ pour les maires. Cela pouvait servir il y a quelques années, pour le maintien de l’ordre par exemple. Mais aujourd’hui , la plupart des commissariats et des brigades de gendarmerie compte plusieurs OPJ. Alors quel besoin ont les maires et les adjoints de bénéficier de cette qualification automatique ? Les mises en fourrière ? Les cadres de la police municipale peuvent le faire. En gros, on en a pas besoin. Ce qui m’effraie, c’est qu’un maire mal intentionné détourne le texte. Il y a 36 000 maires, je pense que statistiquement y’en a au moins un ou deux qui ne sont pas forcément très clairs. Imagine un maire qui péterait les plombs et qui utiliserait cette qualification à tort, pour régler des problèmes personnels. Ce serait l’horreur. J’ai alerté le député, le ministère de la justice, le ministère de l’Intérieur. Rien. Des réponses de principe, des « copier-coller ». J’ai donc décidé de me lancer. A la base, je n’avais pas l’intention de lancer une garde à vue ce matin. Je voulais juste faire un contrôle d’identité afin de provoquer des réactions. Mais tu es arrivé, la mesure se justifiait légalement et cela servait mes objectifs. Et ça a marché : le Procureur, le bâtonnier, le commandant de la compagnie de gendarmerie, la presse, tous sont venus parce qu’un maire avait utilisé ce pouvoir exorbitant. J’espère que ça les fera réagir. Trop de pouvoir sans contrôle, c’est dangereux. Voilà, c’était ma psychothérapie. Maintenant, revenons à toi.

Conduire bourré, c’est dangereux et idiot. Tu le savais mais tu ne l’avais peut-être pas compris. Tu vas voir, ça va être pédagogique. »

 

En 5 minutes, j’ai appris que je n’avais plus de permis de conduire car il était suspendu pendant au moins trois jours, qu’ensuite le préfet prendrait un arrêté me le suspendant pour une période plus longue, que quand je le récupérerai, j’aurai pas mal de points en moins et comme si tout cela ne suffisait pas, que je serai convoqué au tribunal qui me condamnera certainement à un amende et à une nouvelle suspension de mon permis. Ça, pour être pédagogique, c’est pédagogique : j’ai tout compris !

Le maire m’a ensuite auditionné. Au stade où j’en suis, je n’ai plus grand chose à lui cacher. Je lui ai donc tout dit, comme au médecin. Il m’a interrogé sur mes revenus, point rapidement abordé compte tenu de leur importance, puis c’était fini. J’ai attendu quelques instants pendant que le maire téléphonait au parquet. Pendant ce coup de fil, j’ai entendu une certaine agitation devant le poste mais alors que je me levais pour aller voir, le maire est revenu.

« Voilà, c’est terminé. Je lève ta première et, j’espère, dernière garde à vue. Je te remets ta convocation au tribunal « Maître », tu pourras voir le traitement d’un dossier pénal du début à la fin ! ». Il me tend une feuille. « Tu signes au bas de la page. Tiens, celle-là est pour toi. Signe aussi ici ». Il me tend un gros livre où sont marqués mon nom, mon prénom, ma date de naissance et d’autres informations. Je signe sous la mention « La personne gardée à vue ».

« Tes parents sont dans la salle d’attente. J’ai levé l’immobilisation de ta voiture et j’ai donné les clés à ton père. Je vous laisse avec mes policiers municipaux. Ils vont vous faire sortir par derrière car ma petite initiative a ameuté les foules et je dois donner une conférence de presse. Voilà mon garçon, que ça te serve de leçon et que je ne revois pas dans ces circonstances.

Il me sert la main. Sa poigne est ferme sans être forte. Il me sourit puis s’apprête à quitter la pièce.

-      Je ne suis pas sur de voter pour vous aux prochaines élections, lui dis-je

-      Mais qui a dit que je me représentais ?

Et le maire quitte la salle pour se diriger vers l’accueil. Les policiers municipaux arrivent alors avec mes parents. Ils me serrent tous les deux dans leurs bras mais tout de suite après, je comprends à leurs deux regards que la prophétie du maire va certainement se réaliser et que les prochaines heures ne vont pas êtres les plus belles de mon existence.

Devant la mairie, le brouhaha s’intensifie. Ça crie, ça hurle, plusieurs orateurs se disputent la parole. Parmi eux, je reconnais la voix bourrue du maire, de mon maire. Les policiers municipaux nous invitent à les suivre et ils nous conduisent vers une porte dérobée. La voiture de mes parents est là. Je monte et nous quittons le poste de police municipale. En passant devant l’entrée, je suis impressionné par la foule présente. Trois cars de télévisions sont garés, ainsi que plusieurs véhicules siglés aux couleurs des principaux journaux régionaux. Le débat est vif. Les différents orateurs gesticules vivement. Je détourne le regard et m’enfonce dans mon siège.

Avocat, c’est un beau métier, c’est celui que je veux faire, mais maire aussi c’est un beau métier, et une place va prochainement se libérer, alors : pourquoi pas ? »

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