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  Accompagnement des personnels : une nouvelle doctrine d'emploi pour les aumôneries aux Armées en gendarmerie
 
Accompagnement des personnels : une nouvelle doctrine d'emploi pour les aumôneries aux Armées en gendarmerie

(écrit en collaboration avec le pasteur Bernard Delannoy, aumônier en chef, adjoint Gendarmerie, publié dans "La Revue de la Gendarmerie Nationale" - n°246  - 2ème trimestre 2013)
 
Le fait religieux s'est peu à peu retiré de la vie quotidienne de la plupart des français. C'est aussi en partie vrai pour la communauté militaire. Au-delà des fêtes de régiments ou des célébrations consacrées aux saints patrons, les religions ont su se faire plus discrètes au quotidien. A l'instar de leurs camarades des autres Armées, pour les gendarmes, les aumôniers sont rarement perçus comme une composant essentielle de l'architecture de leur Arme. Pourtant, à l'heure où la spiritualité semble connaître un certain renouveau, les aumôniers pourraient avoir un rôle essentiel à jouer dans l'accompagnement du personnel, en OPEX ou sur le territoire national.

Il y a d'abord nécessité de briser un mythe : non, les aumôneries aux Armées ne constituent pas un accroc ou une exception à la séparation de l'Église et de l'État. La loi du 9 décembre 1905 dans son article 2, alinéa 2, dispose que « Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. ». Si les Armées ne sont pas explicitement citées dans ce texte, l'esprit de la Loi est de permettre à chaque citoyen contraint pour une raison impérieuse de demeurer dans un lieu, de pouvoir exercer sa religion. L e législateur a d’ailleurs confirmé la loi de 1905 par un décret en 1964 en désignant explicitement les armées comme pouvant accueillir des services d’aumônerie. Rappelons que non concernée par la loi de 1905, la loi 8 juillet 18801, continue à être la base de référence des aumôneries aux armées. Notons que ce texte oblige l'État à l’organisation du service du culte pour tout militaire qui souhaiterait participer à son culte mais qui serait empêché de par l’éloignement du lieu de célébration en milieu civil. A ce titre, la professionnalisation n’a rien changé, tout le personnel civil ou militaire devant pouvoir, s’il le désire, exercer son culte où qu’il vive pour raison de service. Ceci est particulièrement opportun à bord des bâtiments de la marine nationale, lors des missions de longues ou courtes durées, sur les théâtres d’opérations intérieures ou extérieures ainsi que sur les bases aériennes éloignées des villes.

En période de restriction budgétaire, il est légitime de s'interroger sur la pertinence de l'existence d'aumôneries, notamment au sein de la gendarmerie dont l'essentiel de l'activité se situe sur le territoire national. Mais peut-être les spécificités de l'action des gendarmes ainsi que les contraintes liées à cet emploi permettent-elles justement d'établir une nouvelle doctrine d'intervention des aumôniers, et donc, une nouvelle doctrine d'emploi des aumôneries.
En effet, l'activité du gendarme au quotidien peut être traumatisante. Si celle du militaire de l'Armée de Terre, de la Marine ou de l'Armée de l'Air peut se caractériser par une intensité particulière sur une courte durée, ou tout au moins une période limitée, celle du gendarme présente la particularité de s'étaler dans la durée. Les événements que vit le gendarme prennent place dans son quotidien et dans celui de sa famille, de ses proches. A l'inverse par exemple du fantassin qui peut se prévaloir d'un changement de terrain pour marquer la séparation entre le champ de bataille et son domicile, le gendarme peut trouver un terrain d'action sur le pas de sa porte. Pour autant, il paraît illusoire d'imaginer qu'il va partager ce stress quotidien avec ses camarades, au risque de dévoiler ses faiblesses, ou sa famille, par crainte de la voir fuir une vérité qui demeure heureusement cachée pour l'essentiel de la population.
La prise de conscience est réelle pour la communauté gendarmique et il ne s'agit pas ici de proposer les aumôneries et les aumôniers comme la panacée. Le 48ème Conseil de la fonction militaire Gendarmerie (CFMG) a d'ailleurs évoqué le sujet et proposé des mesures visant l'amélioration de la détection des souffrances éventuelles. En revanche, en complément des chargés de concertation, des psychologues et des réseaux d'écoute, la Foi peut permettre à certains militaires de franchir certaines barrières contre lesquelles les dispositifs précédents restent impuissants. Au-delà des convictions, l'éducation depuis la plus tendre enfance va jouer un rôle dans la perception qu'aura chaque militaire de la religion. Dans la détection de la souffrance, tous les outils, toutes les bonnes volontés doivent être mis en œuvre pour éviter que des gestes irréparables soient commis. Plus largement, le dialogue peut avoir des vertus personnelles et professionnelles insoupçonnées. La population gendarmique est d'une variété telle qu'une réponse unique ne peut suffire. Elle doit être protéiforme en intégrant, pourquoi pas, les croyances ou non croyances de chacun.

Quant aux aumôniers, ils voient leur ministère évoluer. La demande cultuelle n’est plus l’essentiel de leur ministère (offices, actes pastoraux) et d’autres demandes apparaissent. La déchristianisation de la population française, dont les militaires font partie, fait naître aujourd’hui une soif de connaissance en matière religieuse, soit pour combler un vide intellectuel sur le fait religieux, soit pour combler un vide existentiel. Loin de tout prosélytisme, un dialogue s'instaure naturellement lors d'une rencontre avec un aumônier, d'abord souvent sur le rôle du ministre du culte, notamment dans les Armées, puis souvent sur les préoccupations de l'interlocuteur. En cela, l'aumônier, quel que soit son culte, est le vecteur d'un dialogue apaisant et constructif. Enfin, la partie du ministère des aumôniers consacrée à la « relation d’aide » augmente. Ils bénéficient durant leurs études et pendant toute leur carrière d’une formation à l’écoute. Ni assistants sociaux, ni psychologues, ils accompagnent tous ceux qui en expriment, plus ou moins explicitement d’ailleurs, le besoin.

La rencontre, le dialogue ne se ne se feront pas de manière autonome même si cela parait naturel ; une action réciproque des aumôneries d'une part, et du commandement d'autre part est aujourd’hui souhaitable.

Une action des aumôneries tout d'abord, car il s'agit de trouver le subtil équilibre entre les exigences budgétaires et l'efficacité dans cette mission certes classique, mais jamais précisée. Plusieurs éléments peuvent être pris en compte.
Heureusement, les suicides restent une dramatique exception et la souffrance peut connaître bien d'autres exutoires. La diversité des cultes rend également plus difficile une représentation efficace sur l'ensemble du territoire de toutes les sensibilités. Il faut donc suffisamment d'aumôniers, mais pas trop, au risque de décrédibiliser la fonction. Il n'y aurait rien de plus destructeur qu'un aumônier perçu comme un profiteur ou un poids mort. Paradoxalement, il est rare pour une personne, militaire ou non, de se confier à un inconnu. Il faut donc une relation de proximité efficiente. Pour ce faire, l'ensemble des possibilités des statuts militaires doit être mis en œuvre. Si des aumôniers sous statut militaire et à plein temps sont évidemment l'idéal, les réservistes, qu'ils soient opérationnels ou citoyens, peuvent représenter une alternative tout à fait crédible. Les régions a priori faiblement pourvues en représentants d'un culte, comme les protestants en Basse-Normandie ou en Bretagne, apprécieraient certainement grandement de disposer d'un interlocuteur, même si ce dernier n'est là que par intermittence.
De plus, la gendarmerie n'est pas une Arme facile à soutenir, pour les aumôniers comme pour les autres services. La dispersion des effectifs et leur isolement exigent l'adoption d'une action de fond, de visites régulière des unités qui, parfois, peuvent paraître inutiles mais qui en pratique sont les plus efficaces. C'est en effet à un visage familier qui vient vers vous que l'on se confie le mieux. Il y a donc indéniablement un critère de durée et de régularité qu'aucune évaluation ne pourra chiffrer.

 
Cela demande également une implication pleine et entière des aumôniers de tous les cultes. A la différence des autres Armées, pas de Base de Défense, pas de régiment en gendarmerie. La brigade de gendarmerie, le plus petit élément, est un ensemble rassemblant en moyenne une dizaine d'individualités vivant, si ce n'est en autarcie, du moins au sein d'une communauté de fait. Familles et militaires cohabitent ainsi pour le meilleur le plus souvent, mais parfois aussi malheureusement pour le pire, dans des locaux à l'hospitalité variable. Il faut donc visiter ces communautés, brigades, escadrons, état-majors, dans leur élément pour percevoir les contraintes auxquelles sont exposés le personnel et leurs proches. Cela peut paraitre inutile mais la chaleur humaine ne doit et ne peut devenir un indicateur de performance. Tout au plus devons-nous rester vigilants à ce qu'il n'y ait pas de gaspillage de l'argent public même si les aumôneries ne représentent que l'épaisseur d'un trait dans le budget de la Défense.

Au-delà de l'action des aumôniers, le commandement a également un rôle primordial à jouer. Il devra tout d'abord s'assurer d'avoir bien identifié les interlocuteurs des différents cultes. Au besoin, il pourra solliciter l'aumônier en chef adjoint Gendarmerie afin qu'un aumônier lui soit attribué. Ensuite, l'accueil qui sera réservé à l'aumônier sera essentiel. En effet, pour ce qui concerne les aumôniers sous statut militaire, ils couvrent le plus souvent plusieurs unités de toutes les Armées. S'il ne s'agit pas d'évoquer un choix, il est évident que le ministre du culte aura une préférence pour desservir le lieu où il sera le mieux accueilli. Personne n'a réellement envie de retourner dans un lieu peu hospitalier. Cette réalité prend d'autant plus de sens lorsqu'il est question des aumôniers de réserve, opérationnels ou citoyens. Ces derniers adhérent à une démarche particulièrement altruiste et, lorsqu'ils sont enfin affectés, ils arrivent pour la plupart au terme d'un marathon administratif semé d’embûches. Sans parler de dérouler un tapis rouge, il s'agit pour ce commandement de présenter les contraintes et l'organisation locale, d'entretenir une relation de proximité et de faire connaître l'existence et le service mis à disposition par l'aumônier auprès des commandants d'unités subalternes. Des invitations régulières lors des événements marquants de l'unité ainsi que des facilitations accordées pour les déplacements et des directives écrites recommandant de réserver un bon accueil aux aumôniers, paraissent constituer une bonne base de travail. C'est ensuite une relation de confiance qui doit se construire. L'aumônier doit démontrer ce qu'il peut apporter aux personnels en faisant preuve d'initiative et, pourquoi pas, d'audace. Le commandement doit exprimer ses attentes sans pudeur, mais sans exigence excessive non plus. Aucun mode d'emploi ne donne la recette pour une telle alchimie qui se veut fragile par nature.

A la lumière de ces éléments, il apparaît qu'une nouvelle doctrine d'emploi se profile pour les aumôneries du 21ème siècle. Au-delà des théâtres d'opération extérieures et des bases de défense, il y a désormais lieu de prendre en compte la spécificité de l'activité et le mode de vie des gendarmes. Les aumôniers peuvent ainsi représenter le lien nécessaire entre le monde gendarmique et le monde civil, une sonnette d'alarme supplémentaire dans un monde moderne où les outils de communication toujours plus sophistiqués ne permettent pas pour autant d'améliorer la compréhension réciproque. Au-delà du religieux, que cet article n'a finalement que peu abordé, et au-delà de la Foi qui reste une conception et une aventure personnelle, les aumôniers peuvent et doivent trouver une place au sein de la gendarmerie pour le bien de tous.


1Loi du 8 juillet 1880 relative à l’abrogation de la loi des 20 mai - 3 juin 1874 sur l’aumônerie militaire

 
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