Gardes champêtres : l'inattendu « come-back » ?
(publié le 15/04/2011)
Vous l'aviez peut-être laissé avec son bicorne et son tambour sur la place du village dans les années cinquante. Détrompez-vous, le garde champêtre existe toujours même s'il est en voie de disparition. Pour les spécialistes, la cause du garde champêtre était également entendue : la fusion avec les policiers municipaux était inéluctable. Oui mais... Le garde champêtre semble reprendre du poil de la bête. Effet de communication ou véritable mouvement de fond, regardons de plus près ce retour inattendu de l'un des plus anciens représentants des forces de l'ordre.
Retournons en 2006. Jacques Chirac est président de la République, Brice Hortefeux n'a pas encore connu l'ascension – puis la chute... - qu'on lui connait aujourd'hui et n'est « que » ministre délégué aux collectivités territoriales de Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur. C'est dans ce contexte qu'est signé entre l’État et certains syndicats, un protocole d'accord censé définir les axes de travail et d'évolution des métiers de la police municipale.1 Parmi ces points divers et variés figurent quelques mots sur l'avenir des gardes champêtres. Ces derniers seraient encore environ 1800, avec un effectif en chute libre depuis le début des années 80. Statut inapproprié, prérogatives considérées comme incomplètes, manque de perspective pour les jeunes, absence de tenue réglementaire, déficit d'image, le sort des gardes champêtres semblait être réglé et l'on se dirigeait à grands pas vers une fusion avec le cadre d'emploi des agents de police municipale, bien plus attrayant et moderne. Mais d'une évidence, ce projet est désormais devenu une simple éventualité. Que s'est-il donc passé ?
Il faut tout d'abord reconnaître que le dossier des gardes champêtres n'a jamais été prioritaire. Dans le protocole de 2006, beaucoup d'autres points étaient autrement plus urgents à traiter, telle la création du statut de directeur de police municipale (DPM). La mise en œuvre de toutes ces mesures a demandé nombre de discussions, négociations et autres rencontres, et donc beaucoup de temps. De fait, les gardes champêtres ont été un peu oubliés par le ministère. Comme d'habitude. Puis l’élection présidentielle est intervenue avec son lot de nouveautés législatives et réglementaires, comme la désormais célèbre révision générale des politiques publiques. C'est ensuite la réforme territoriale qui a pris le relais et la vie politique a doucement suivi son cours, laissant nos gardes champêtres sur le bord de la route.
Un long fleuve tranquille ? Pas vraiment. La réflexion a continué tant les agents territoriaux chargés de missions de sécurité apparaissaient comme une des solutions d'avenir. Une proposition de loi du député (NC) Claude Leteurtre en 2008 a lancé l'idée de la création d'une police territoriale avec une fusion des cadres d'emploi de catégorie C et l'ouverture de l'accès en interne aux cadres d'emploi de catégories A et B pour tous.2 La spécificité rurale serait maintenue par le biais d'une formation initiale à options. Une proposition reprise par le préfet Jean Ambroggiani, aujourd'hui décédé, dans son rapport commandé en septembre 2007 et remis en mars 2009 au secrétaire d'état aux collectivités territoriales d'alors, Alain Marleix. Aucun de ces deux textes n'a finalement connu de réelle application. Certaines dispositions du rapport Ambroggiani ont bien été reprises dans la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI ou LOPSI 2)3, comme la qualification d'agent de police judiciaire (APJ) pour les DPM, mais elles ont été censurées par le Conseil Constitutionnel. Le gouvernement ne manifeste pas l'intention de tenter de les rétablir prochainement.
Un événement a failli produire quelques effets normatifs : la tragique disparition d'Aurélie Fouquet le 20 mai 2010, tuée lors d'une fusillade sur l'A4. Mais la seule réaction à cet événement dramatique a finalement été un décret autorisant l'utilisation du pistolet à impulsions électriques – PIE dit « taser » - pour les policiers municipaux, le précédent texte ayant été cassé par le Conseil d’État pour insuffisance de formation...
Du coup, coté gardes champêtres, c'est un peu le calme plat depuis 2006...
Un timide retour
Si vous créez comme moi une alerte par mail sur un célèbre moteur de recherche Internet dont le nom commence par G, vous pourrez constater une chose : on parle de plus en plus des gardes champêtres. Et que lit-on ? On recrute, timidement, souvent par la voie du détachement d'anciens gendarmes mais pas seulement. Intercommunalité et environnement semblent être les deux mamelles de ce renouveau. Notons qu'avec 1800 représentants – voire moins à l'heure actuelle – les gardes champêtres dépassent largement l'effectif total des fonctionnaires de l'État chargés exclusivement de surveiller la mise en application des 24 polices de l'environnement qui ne seraient qu'un peu plus de 1000,4 Ce chiffre ne prenant pas en compte les gendarmes qui rédigeraient 70% des procédures relatives aux questions d'environnement.5
Il faut aussi se replonger avec délice – juridiquement parlant évidemment - dans la décision du conseil constitutionnel censurant la LOPPSI et remarquer que les visas semblent condamner toute extension des pouvoirs judiciaires des APM. En effet, le conseil précise que : « (...)l'exigence de direction et de contrôle de l'autorité judiciaire sur la police judiciaire ne serait pas respectée si des pouvoirs généraux d'enquête criminelle ou délictuelle étaient confiés à des agents qui, relevant des autorités communales, ne sont pas mis à la disposition des officiers de police judiciaire (...) »
Deux solutions sont donc envisageables : soit abandonner toute idée de nouvelle extension de leurs compétences en matière pénale, soit placer les APM à disposition des OPJ de la gendarmerie ou de la police nationale. Dans ce deuxième cas, c'est le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales qui pourrait alors être invoqué... C'est la quadrature du cercle.
Coté image, les policiers municipaux sont évidemment plus connus que les gardes champêtres. Mais si les premiers semblent en pleine crise d'identité à la recherche de leur place dans le système sécuritaire, les seconds, qui ont traversé cette crise, semblent avoir fait le choix d'une police de proximité à l'ancienne et tournée vers l'environnement, sujet ô combien d'actualité. Et avec le taser, les polémiques sur le flash-ball, les policiers municipaux ont acquis – parfois à leur corps défendant – une image de plus en plus répressive. Cette image pouvait être avantageuse lorsque l'ambiance politique était à la sévérité mais, alors qu'aujourd'hui, même à la préfecture de police de Paris l'on reparle de « proximité » - un mot qui était banni depuis 2002 - cette image pourrait déranger certains responsables locaux.
Coté gardes champêtres, rappelez-vous, c'était le calme plat. Et si, pour une fois, avoir été oublié était salvateur ? La question mérite d'être posée. Car certes rien n'a changé pour ces agents territoriaux depuis plusieurs années, mais ils sont toujours là. Et certains élus locaux semblent redécouvrir la profession. Il est d'ailleurs intéressant de noter que, si la réflexion qui mène à une embauche reste la même – assurer la sécurité de proximité – les élus qui recrutent un garde champêtre n'auraient, pour la plupart, pas voulu recruter un APM. Alors que les deux statuts dont très semblables... Avec une image plus « sympa » et, ne nous voilons pas la face, un coût moindre qu'un APM, le GCT semble revenir timidement. Attention, ni lame de fond ni déferlante, le mouvement est lent, très lent, voire inexistant pour certains professionnels. Pour Paul Chevrier, garde champêtre à Valberg (06) : « Les départs à la retraite non remplacés restent plus nombreux que les créations de postes. Quelques nominations ça et là, essentiellement par voie de détachement de gendarmes, militaires et autres fonctionnaires, surtout en Midi-Pyrénées. »
C'est peut-être timide, mais personnellement, je note le mouvement : aux cotés de la Brigade Verte du Haut-Rhin qui perdure, la brigade des gardes champêtres intercommunaux du Havre Est est née en 2004 et se porte, aux dires de son chef Hervé Bénazera, « très bien ». L'activité opérationnelle est en augmentation, de récents recrutement ont permis de relancer un peu la machine après quelques interrogations. Les brigades intercommunales fleurissent, souvent avec un petit effectif, dans la Drôme, en Normandie, dans le Sud. Les décideurs semblent apprécier la souplesse du recrutement d'un GCT qui est possible sur la base d'un simple syndicat à vocation unique (SIVU), soit le degré zéro de l'intercommunalité. Cette intercommunalité à géométrie variable permet à un petit nombre de communes volontaires de se lancer sans attendre l'adhésion de toute une communauté de commune. Pour Jacques Armesto, président de la Fédération nationale des gardes champêtres (FNGC), le constat est le même : « je constate un nouvel intérêt des élus, et notamment de structures intercommunales, envers la profession de Garde Champêtre, et particulièrement en ce qui concerne la gestion des problématiques « environnementales », mais également socio-sécuritaire. »
Pas d'euphorie
Mais tout n'est pas rose pour autant. Si le garde champêtre est encore là, sa situation n'a guère évolué. Toujours pas de tenue, une appellation de « police rurale » qui, si elle a été reconnue implicitement par le ministère de la justice, reste non officielle, un seul cadre d'emploi de catégorie C qui ne donne pas accès aux catégories B ou A, certaines incohérences, notamment sur les questions d'armement, pas de formation continue obligatoire, etc. Le chantier de la formation semble en particulier critique. Comme le rappelle Paul Chevrier : « Il reste indéniable que les jeunes volontaires sont en manque de concours. Les appels aux CDG (centre de gestion, NDLR) font ressortir que ceux-ci ont bel et bien rayé la profession du garde champêtre depuis belle lurette, et répondent systématiquement que maintenant il n’y a que la police municipale, garde champêtre cela n’existe plus.
Les CNFPT (antennes régionales du centre national de la fonction publique territoriale, NDLR) se sont largement investis dans la formation des agents de police municipale, au détriment des gardes champêtres laissés pour compte. En PACA, la dernière formation continue (non obligatoire) date de 2007. Les autres CNFPT n’en font pas plus. »
Coté compétence, un point positif : les gardes champêtres ne sont plus oubliés lors des « mises à jour réglementaires » ou des codifications. Ces textes théoriquement purement techniques supprimaient régulièrement certaines compétences aux gardes champêtres. Contre-exemple parfait et preuve de cette nouvelle reconnaissance : un projet d'ordonnance destiné à harmoniser des dispositions de police administrative et judiciaire au sein du code de l'environnement. Nos gardes champêtres tiennent leur rang aux cotés des agents techniques de l'environnement pour ne citer qu'eux.
Impossible d'évoquer l'avenir des gardes champêtres sans tenir compte des prochaines échéances électorales. Si la droite n'a pas encore fait de proposition précise sur le sujet, il est à noter que la gauche s'est prononcée. Lors d'un rassemblement sur le thème de la sécurité qui s'est déroulé à Créteil le 17 novembre 2010, le parti socialiste a publié 22 propositions dont certaines concernent directement les gardes champêtres.
Le projet de création d'une délégation nationale en charge de la sécurité des collectivités locales est de celles là. Cette structure « couvrant les polices municipales et les gardes champêtres » aurait pour objet « de valoriser les déroulements de carrières, les compétences, l’articulation avec les forces nationales et de préconiser les doctrines en matière d’équipement (armements, transmission, etc.). » Il en va de même avec la création d'un « « conseil général de la sécurité publique » au sein du ministère qui intègrera les trois inspections (IGPN, IGS et IGGN) et étendra son action aux polices municipales et au secteur de la sécurité privée. » Mais si l'idée semble séduisante, ne se heurtera-t-elle pas, comme la LOPPSI, à un principe constitutionnel : celui de libre administration des collectivités territoriales ? L'avenir le dira peut-être.
Après ce rapide bilan pour le moins contrasté, que conclure ? Les gardes champêtres sont-ils de retour ou s'agit-il d'une simple mode ?
Jacques Armesto résume assez bien la situation : « Malgré leurs nombreux atouts, les gardes champêtres restent toutefois menacés. Le recrutement au sein des EPCI, longtemps ressenti comme salvateur (...), vient tardivement remettre en lumière cette institution longtemps oubliée. (...)
A l’heure actuelle, le ministère des collectivités territoriales creuse la piste d’une possible fusion entre les agents de la police municipale et les gardes champêtres, qui, bien que chargés également de l’application des pouvoirs de police du Maire, sont toutefois plus spécialement investis de missions particulières, comme la police des campagnes, de la forêt, de l’environnement et des ressources naturelle.
Aussi, il apparait depuis peu quelques perspectives d’avenir pour les gardes champêtres dans le traitement des problématiques liées à ces différents domaines, auxquels s’ajoutent la gestion de l’urbanisme, la police de l’eau et des réseaux, la prévention des incendies et le débroussaillement, sans oublier la préservation des propriétés rurales (...), et la gestion des activités professionnelles et des loisirs dans les espaces naturels, objets de nombreux conflits souvent méconnus du grand public, mais qui croissent et font ressortir la difficulté de se partager le même espace. De quoi sûrement garantir encore longtemps le rôle et les missions traditionnelles du garde champêtre, ou de son successeur, peut-être au sein d’une nouvelle « police territoriale » de l’environnement. »