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La tranquillité publique, cette grande inconnue |
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La tranquillité publique, cette grande inconnue
Si proche et pourtant si loin... La tranquillité publique fait partie de ces notions que chacun manipule à sa sauce, sans vraiment savoir de quoi il parle. Le paradoxe, c'est que la tranquillité publique n'est pas une inconnue. C'est même un des piliers des pouvoirs de police municipale du maire cités à l'article L.2212-2 du code général des collectivités territoriales, dont il est notamment chargé d'en réprimer les atteintes.
La tranquillité publique est souvent assimilée à la sécurité publique, voire à la lutte contre la délinquance. C'est à mon sens une erreur et plusieurs exemples peuvent aider à le démontrer. La plupart du temps, c'est vrai, lutter contre la délinquance contribue à rétablir la tranquillité publique. Ainsi, interpeller les auteurs de cambriolages ou les dealers agissant au grand jour ne peut qu'améliorer la sécurité ressentie, au sens du sentiment des habitants. Cependant, certains comportements perturbants cette tranquillité ne tombent pas systématiquement sous le coup de la loi. C'est par exemple le cas de la consommation d'alcool sur la voie publique. Sous réserve de ne pas être ivre, ce qui constituerait l'infraction d'ivresse publique et manifeste , et en l'absence d'arrêté de police l'interdisant, elle est autorisée. C'est aussi le cas de figure que rencontrent beaucoup de maires concernant les attroupements de personnes plus ou moins en rupture avec la société et qui peuvent inquiéter une partie de la population. C'est surtout problématique quand ils se produisent dans des lieux à forte fréquentation, comme des parcs ou des places touristiques par exemple. Au-delà de comportements clairement illégaux comme la consommation et la vente de stupéfiants, l'IPM, les violences ou les insultes, ces regroupements ne sont pas interdits, en dehors de mesures de police locales. Les rédacteurs des arrêtés doivent pour le coup, faire parfois preuve d'innovation pour parvenir à construire une structure juridique cohérente et surtout efficace.
La question se pose également de savoir jusqu'où nous devons (pouvons?) porter le concept de tranquillité publique. La tranquillité absolue n'existe finalement qu'à dans la mort, et encore... L'appréciation de cette notion par le juriste ou le politique verra nécessairement l'affrontement de plusieurs conceptions sur l'ensemble de la gamme qui va de l'anarchie la plus absolue à l'Etat policier, autocratique, voire dictatorial. Qui décide? Quand? Selon quels critères? Avec quelles limites? Autant de questions qui vont façonner selon les territoires et les gouvernances une notion aux contours si flous qu'il est possible, en son nom, d'aboutir à des actions complètement antinomiques.
Lutte contre la délinquance et tranquillité publique: même(s) combat(s)?
De manière assez surprenante, nous pouvons parfois constater des effets néfastes de la lutte contre la délinquance sur la tranquillité publique. Je formule à ce titre deux hypothèses.
La première est que la lutte contre la délinquance peut avoir un effet insécuritaire particulièrement important au sein de la population, cet effet augmentant de façon exponentielle en fonction de la couche de la population impactée. Je pourrais l'appeler la théorie du quartier tranquille. Je m'explique.
Prenez un quartier pavillonnaire standard, que nous situerons par hypothèse dans une ville de banlieue où le délinquance est maîtrisée. Un matin, les habitants de ce quartier ont la surprise d'entendre de grands bruits chez un de leur voisins à 6 heures du matin. Des cris tels que "police!", "tu bouges pas!". Il s'agit en fait de l'interpellation de l'auteur d'une infraction. La nature de cette dernière importe peu mais il s'agit pour le coup d'une incrimination qui ne trouble pas l'ordre public du quartier: détention d'images pedopornographiques, fabrication de stupéfiants ou un recel bien organisé par exemple. Les voisins de l'auteur de l'infraction n'avait aucune idée de ce qui se passait dans ce pavillon cossu, et la réalité les rattrape avec toute la violence qui la caractérise parfois. Nous sommes dans l'hypothèse où les forces de sécurité, par leur action, vont parvenir à interpeller l'auteur d'une infraction et à la faire cesser. C'est donc une bonne chose du point de vue de la lutte contre la délinquance. Cependant, tous les voisins seront fortement impactés par cet événement. Comment concevoir que leur quartier tranquille, ce havre de paix où ils élèvent leurs enfants, ce refuge, soit lui aussi touché par la délinquance? De cette première interrogation va en découler beaucoup d'autres sur le thème "et si?". Le contenu variera immanquablement en fonction de l'infraction concernée: et si mon enfant était tombé entre les mains de ce pédophile? Et si j'avais rencontré l'un des acheteurs de drogue? Et si la dégradation de mon véhicule subie l'an dernier était le fait d'un des voleurs venant écouler sa marchandise à ce receleur? La liste est sans fin et modulable à l'envie. Nous sommes donc bien dans une situation paradoxale où l'État lutte, avec succès, contre la délinquance mais en aggravant l'insécurité ressentie par les voisins immédiats du lieu de commission de l'infraction. Il est également à noter que la nature de l'infraction et sa qualification peuvent être sans importance. Cependant, plus la population concernée sera éloignée des faits de délinquance, plus sa tolérance à la délinquance sera faible. Ainsi, des personnes résidants dans un quartier résidentiel dans un département calme pourront réagir fortement à des dégradations sans gravité objective alors que d'autres habitants sur un territoire concerné par une délinquance régulière ne s'émouvront que pour des infractions beaucoup plus graves. Les gendarmes connaissent bien ce phénomène pour avoir à gérer la délinquance en milieu rural. Ces territoires d'ordinaire plutôt paisibles peuvent s'enflammer à l'occasion de phénomènes dont la gravité objective est bien moindre que ce que vivent certains habitants des milieux urbains.
Autre théorie, qui pourrait s'appeler "la théorie du super-flic". Certains concepteurs et responsables des forces de l'ordre plaident pour un équipement toujours plus important de leurs agents en armement et protections individuelles et collectives. De prime abord, nous pourrions penser que cette course à l'équipement peut être bénéfique et augmenter le sentiment de sécurité. Pour ma part, je pense que, dans une certaine mesure, il n'en est rien. Si dans un contexte économique et social positif, l'idée peut paraître séduisante, une crise économique grave et durable vient rebattre les cartes. Il se met ainsi en place une hostilité systématique et de base aux forces de l'ordre. Perçues comme un substitut aux percepteurs, leur fonction se trouve alors contestée par principe par une part importante de la population, cette dernière allant même jusqu'à contester la légitimité de leur action. Dans ce contexte, tout équipement perçu comme superfétatoire augmente l'hostilité. Pour schématiser la pensée de certains administrés, ils pourraient être amenés à s'interroger sur la raison profonde de cet équipement. N'est-ce pas inutile? Quelle menace? Ne sommes-nous pas dans la communication? Autre interrogation plus personnelle: si le maire, le commissaire de police ou le commandant de gendarmerie estime qu'il est nécessaire d'armer et d'équiper ses agents de telle façon, c'est certainement que le risque auquel ils sont confronté est très important. Donc plus les agents des forces de sécurité sont équipés de manière ostentatoire, plus je suis en danger. La question n'est pas simple car nous nous retrouvons alors dans un paradoxe où la présence visible des forces de l'ordre sur la voie publique parvient à créer de l'insécurité au sein de la population. Pour autant, il n'est pas question de laisser ces agents sans protection ni armement. Il faut donc trouver un équilibre entre l'équipement nécessaire à l'accomplissement de la mission dans des conditions d'efficacité et de protection optimales et la nécessaire dissimulation de ce potentiel attirail. Pas simple et surtout très évolutif d'un jour sur l'autre. Il est par conséquent nécessaire de pouvoir ajuster l'équipement à la situation et donc de pouvoir évaluer rapidement les évolutions opérationnelles. Là, encore, rien de plus compliqué.
L'impossible évaluation
La tranquillité est plus un ressenti que quelque chose de réellement palpable. Dès lors, la quantifier paraît compliqué et forcément subjectif selon les territoires et les sujets interrogés. Faire rentrer la tranquillité publique dans un tableau à double entrée me paraît donc impossible... et inutile. En revanche, l'évaluation des politiques publiques destinées à l'améliorer plaide pour qu'un suivi soit effectué. Aujourd'hui, il est essentiellement fait par le biais des statistiques de la délinquance dont j'ai évoqué plus haut les limites. Quelques études sociologiques ont tenté, ça et là, de compléter le propos avec des résultats intéressants. Mais l'intérêt est de suivre la matière dans le temps et d'effectuer des comparaisons. Aucun outil pérenne n'existe à ma connaissance mais, si nous devions en imaginer un, nous pourrions le concevoir en plusieurs parties. La première, de manière classique, collationnerait les chiffres de la délinquance et les enquêtes de victimation. Ces
deux disciplines placées au regard l'une de l'autre permettraient de disposer d'un panorama complet du travail des forces de l'ordre: chiffres et traitement humain. La seconde coordonnerait de mini-assemblée destinées à recueillir le ressenti des habitants. Ce panel, toujours identique et le plus représentatif possible, serait interrogé sur des questions portant sur le ressenti de la sécurité à intervalle régulier. Au final, nous aurions une vision de la tranquillité. Une vision parmi beaucoup de possibilités, mais une vision quand même. De là, de ce "point zéro", de ce point de départ, nous pourrions constater si les politiques locales sont efficaces ou pas, en observant les évolutions de ces indicateurs. Reste à savoir qui pourrait porter un tel projet. L'idée est certes intéressante mais poser les questions et donc récolter les réponses peut réserver des surprises. Autre paramètre, la matière est par nature instable et un dispositif efficace le mardi peut, sans raison précise, devenir complètement inefficace le jeudi. Enfin, l'échelle du temps n'est évidemment pas la même que pour la justice, la sécurité ou la politique. La tranquillité publique, c'est en fait la confiance des habitants dans les institutions. La confiance est un ouvrage à remettre quotidiennement sur le métier au risque de tout casser. Le jeu est donc très risqué et le risque, c'est tout ce que notre société refuse aujourd'hui. Même s'il ne s'agit que d'inventer un thermomètre et non de révolutionner la matière, je reste convaincu que certains préfèreront rester dans l'ignorance.
1 - Ou IPM dans la jargon des forces de sécurité, infraction prévue et réprimée par l'article L.3341-1 du code de la santé publique
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